Atelier Biodiversité
Première table ronde sur la biodiversité
Dans le cadre de la démarche de WePlanet France – Les Ecohumanistes basée sur une approche scientifique, et des travaux sur les piliers fondamentaux que sont le développement humain, la biodiversité et le climat, l’association mène des réflexions visant à mieux connaître et comprendre les prérequis pour assurer la vitalité de la biodiversité.
Ainsi, une première table ronde s’est tenue sur ce sujet le 5 décembre 2022 avec trois experts :
Guillaume GIGOT, Responsable de la Cellule Conservation, Référent outre-mer à PatriNat, Office français de la biodiversité
Carmen BESSA-GOMES, Enseignante-chercheuse en écologie, AgroParisTech
Elsa BONNAUD, Maître de conférence, Spécialiste des zones agricoles péri-urbaines, Université Paris-Saclay
Des éléments de cadrage pour les travaux futurs du think-tank
A l’occasion de cet atelier, les intervenants ont été invités à revenir sur les axes suivants :
- Etat des lieux de la biodiversité : comment sont réalisés les rapports de l’IPBES et comment sont établies les listes rouges ? Il s’agissait notamment d’aborder la question des espèces connues vs. inconnues pour ensuite déterminer un état des lieux de la biodiversité en cette fin 2022.
- Les enjeux de la diversité biologique, interactions avec les humains, contributions de la biodiversité : ce sujet visait à interroger la diversité du vivant, notre relation à la nature et notre impact sur celle-ci.
- Préservation et restauration : quelles sont les familles de solutions dont nous disposons pour assurer une biodiversité florissante ?
Sur cette base, plusieurs éléments de cadrage ont été définis pour les travaux futurs du think tank.
L’importance de se replacer dans le temps long
Pour parler de biodiversité, il faut toujours préciser les variables d’espace et de temps, que ce soit pour qualifier une espèce, un processus, un écosystème ou une menace. Ce sont principalement ces deux variables qui permettent d’analyser l’état de la biodiversité. En effet, il est naturel que des espèces naissent, évoluent et meurent. Mais le taux d’extinction actuel (en particulier en raison de son rythme très rapide) n’a rien à voir avec les cycles et les taux constatés par le passé et sert de marqueur à la sixième extinction de masse qui est en cours.
Parmi les outils dont nous disposons pour évaluer ces tendances, les listes rouges sont indispensables. Elles doivent ainsi être remises dans ce contexte d’espace et de temporalité pour prendre la mesure des chiffres qu’elles annoncent. Ces listes sont précieuses car elles servent de base pour la mise en place de mesures de protection d’espèces menacées. Les recherches doivent donc continuer à définir et classifier les espèces inconnues afin d’avoir une connaissance fine de leur fonctionnalité dans l’écosystème et éventuellement leur risque d’extinction ou de prolifération. Il s’agit notamment de réduire la marge d’incertitude liée à l’état lacunaire des connaissances sur des espèces peu visibles, petites, cavernicoles, végétales, fongiques ou encore des microorganismes et qui laisse penser que le taux d’extinction qu’avancent les scientifiques actuellement est sous-estimé.
Aux variables de temps et d’espace, il convient d’ajouter l’analyse des traits fonctionnels (les caractéristiques d’une espèce) et la diversité génétique afin d’étudier l’évolution des populations et la pertinence de la mise en place de mesures de préservation.
Ainsi, pour compléter les listes rouges, une approche écosystémique des ensembles est intéressante. Elle consiste à s’intéresser aux tendances de populations témoins pour suivre leur évolution (comme le propose le Living Planet Index de WWF). Ces populations reflètent l’état des écosystèmes dans lesquels elles vivent et permettent aux actions de protection de s’inscrire dans un temps long, réfléchi et ainsi de préserver l’écosystème entier auxquelles elles sont associées. Si l’on veut donner un exemple emblématique de ce type d’action, nous pouvons citer les aménagements mis en place pour créer un habitat propice au retour du grand tétras dans les Vosges.
Alors que le changement climatique appelle une réponse rapide, la différence de temporalité nécessaire au maintien d’une biodiversité florissante sur terre apparaît comme un défi. Dans la recherche d’identification de solutions au cours des prochains cycles d’ateliers, RePlanet France portera une attention particulière à la conjugaison de ces deux impératifs.
Les débats qui ont eu lieu récemment au niveau national comme au niveau européen sur les mesures d’accélération du déploiement des énergies renouvelables, notamment dans des zones privilégiées (zones jugées propices à l’installation de ce type de projets), illustrent ces points de tension, alors qu’il semble important de privilégier l’implantation de ces dispositifs sur des zones déjà artificialisées. Il est en effet primordial de ne pas opposer climat et biodiversité. Il semble également important que les mesures de mitigation dans ces situations puissent être décidées par des écologues et les parties prenantes (collectivités locales, habitants, naturalistes, géographes, agriculteurs, etc.).
La relation Homme – Nature au cœur des enjeux de vitalité de la biodiversité
Le positionnement dominant dans les instances internationales vis-à-vis de la Nature est biaisé : nous l’observons, nous l’évaluons de manière détachée, nous l’utilisons selon les services qu’elle peut nous apporter, comme si nous n’en faisions pas vraiment partie. Cette vision anthropocentrée, particulièrement présente en France, est dangereuse. En effet, si nous évaluons la valeur de la nature par rapport à nos propres besoins, nous risquons de privilégier certaines fonctions écologiques plutôt que d’autres. Or, ceci est un pari sur l’avenir, qui peut entraîner, par nos actions, la suppression de fonctions qui pourraient être clés, et/ou que nous ignorons tout simplement aujourd’hui. La Nature est un tout, constitué de différentes parties qui interagissent et ces diverses connexions sont indispensables au fonctionnement de l’ensemble.
Travailler sur notre relation à la Nature est donc indispensable. Un rapprochement des écologues, des biologistes avec des sociologues, et anthropologues entre autres, apparaît comme un axe de travail intéressant pour repenser ce lien. En effet, changer de paradigme implique d’entrer dans des réflexions de temps long et abandonner les visions court-termistes dominantes. Ceci suppose de revoir nos liens avec la nature mais également entre humains et d’accepter de réintroduire une part d’incertitude, de hasard, qui est inhérente au vivant.
En appui de ce travail conceptuel, des actions concrètes telles que maintenir le sauvage dans la ville, ont une valeur en soi et permettent de garder notre lien à la nature, exercer notre tolérance au dérangement et renouer avec le temps long. Il s’agit de sortir, d’observer, de sensibiliser aux bénéfices mais aussi aux possibles risques et imprévus de la vie sauvage.
Afin de sauvegarder la vitalité de la biodiversité, des pistes d’actions existent comme :
- D’une part, des actions qualifiées de “passives” : Éviter, Réduire et Compenser. Les efforts doivent se concentrer sur les deux premiers, car, comme pour le climat, la compensation est plutôt illusoire en biodiversité. L’objectif est de limiter les pressions et éviter de détruire de nouveaux habitats. Ceci consiste par exemple à préserver les connectivités (corridors écologiques) pour que les espèces puissent migrer par elles-mêmes. Ou encore mettre en place des mesures pour éviter l’importation d’espèces exotiques envahissantes dans de nouveaux milieux, repenser le tourisme de masse, mieux informer et réorienter les consommateurs vers des espèces autochtones ;
- D’autre part, la restauration active : ceci implique de réfléchir aux fonctions que l’on veut restaurer et à l’équilibre auquel on souhaite parvenir. Il doit s’agir d’un équilibre dynamique pour recréer un potentiel évolutif fonctionnel. Ici il est donc impératif de délaisser la vision anthropocentrée pour mener des actions constructives. Le règlement européen relatif à la restauration de la nature proposé par la Commission européenne est examiné par le Conseil. Ce règlement prévoit pour les Etats la mise en place d’objectifs chiffrés et une obligation de moyens et de résultats pour leurs politiques de restauration.
Dans la suite des travaux pour RePlanet France – les écohumanistes il s’agira d’intégrer les enjeux de biodiversité à l’identification de solutions, et de déterminer comment les mettre en œuvre le plus efficacement possible.
Les sujets de la biodiversité et de l’environnement touchent toutes les activités humaines (santé, avec la notion de One Health notamment, agriculture, activités économiques, habitat-logement-urbanisation, etc.). Des intérêts communs mais aussi des points de tension peuvent donc apparaître. Le prochain atelier de RePlanet France sur le Développement humain finalisera un premier cadrage écohumaniste sur ces questions.
- BESSA-GOMES C. MAURICE A.C. et al., Orientations toward “people” and “things” are associated with nature connectedness in a representative sample of the French adult population. Sustain Sci 16, 1489-1502, 2021
- BOEUF G., Pourquoi sauver la biodiversité ? Revue juridique de l’environnement 2022/2 (volume 47) pp. 247-250
- BONNAUD E., BAUDRY E. et al., Les menaces sur la biodiversité. Enjeux de la transition écologique, EDP Sciences, 38p, 2021, 978-2-7598-2662-9
- BREDIF H. et SIMON L., Biodiversité et stratégies, Des équilibres dynamiques, Quae, 2021
- Compteur Biodiversité Outre-mer
- Convention on Biological Diversity
- DRISCOLL D.A. et al., A biodiversity-crisis hierarchy to evaluate and refine conservation indicators, Nature ecology & evolution, 2(5), 775-781, 2018
- Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité
- GIGOT G., TOUROULT J. et al., Le paradoxe de la connaissance naturaliste : des listes d’espèces qui s’allongent alors que la biodiversité décline, 16ème Rencontres Bourgogne-Franche-Comté Nature, La 6ème extinction des espèces. Et maintenant ?
- IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services)
- IUCN, Red List
- Le Compteur de biodiversité outre-mer
- PatriNat, Centre d’expertise et de données sur le patrimoine naturel, Unité d’appui et de recherche, OFB-CNRS-MNHN
- OFB (Office Français de la Biodiversité)
- SARRAZIN et LECOMTE, Evolution in the Anthropocene. Science, American Association for the Advancement of Science (AAAS), 2016, 351 (6276), pp.922-923
- TRAME VERTE ET BLEUE, Centre de ressources pour la mise en oeuvre de la Trame verte et bleue
- WWF, Living Planet Index